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En Argentine, l’appartenance à un quartier est un élément important dans la construction sociale de chaque individu notamment à travers le soutien du club du quartier. Parmi ces clubs de quartier, l’histoire de San Lorenzo et du quartier de Boedo se démarque. Cette histoire est articulée autour d’un traumatisme. Celui de l’exil qui a frappé le club dans les années 70 mais qui n’a jamais altéré son lien avec Boedo. Focus sur une relation forte qui excède le simple cadre du football.
SAN LORENZO DE ALMAGRO ET BOEDO : LA NAISSANCE D’UN CLUB, LA CONSTRUCTION D’UNE IDENTITE
Pour commencer cette hsitoire, il faut revenir à la fondation de San Lorenzo. Nous sommes au début de XXème siècle à Buenos Aires dans le quartier d’Almagro. Des jeunes jouent au football dans la rue au grand dam du prêtre Lorenzo Massa. Ce dernier s’inquiète du danger que représente la circulation et leur propose un marché. L’arrière-cour de son église comme terrain de jeu en échange d’une présence assidue à la messe.
Les jeunes garçons acceptent et continuent de vivre leur passion tant et si bien qu’en 1908, il créent un club. Ils le nomment San Lorenzo de Almagro en hommage au prêtre qui leur a donné un terrain de jeu (ou en mémoire de la bataille de San Lorenzo, premier combat patriotique de l’indépendance argentine). La particule “de Almagro” rappelle qu’à l’époque de la création du club, le quartier de Boedo n’existe pas. En réalité les membres du club s’identifient bien plus au quartier d’Almagro qu’à la zone qui deviendra plus tard Boedo.
Au fil du temps, le club va grandir et le terrain de jeu des jeunes hommes aussi. En 1908 commence la construction d’un stade, le Gasómetro dans le quartier d’Almagro, à l’adresse Avenida la Plata 1700.
Le lien qui unit San Lorenzo à Boedo n’est donc pas un lien originel. C’est un lien construit grâce à la constitution d’une culture propre à la zone qui deviendra Boedo. Ce particularisme culturel qui mènera à la création du quartier éponyme est en grande partie l’héritage du Grupo de Boedo. Groupe informel d’artistes nommé de la sorte car il siégeait au numéro 837 de la calle Mariano Boedo, le Grupo Boedo naît en 1922 et devient un haut-lieu de la vie culturelle de Buenos Aires. Il aborde des thématiques sociales avec un point de vue de gauche et un désir de proximité avec les milieux populaires. De son côté, San Lorenzo aussi contribue à la vie culturelle de la zone. Le club, par ses succès répétés notamment dans les années 20 va fédérer la population.
L’influence du Grupo Boedo conjuguée aux succès de San Lorenzo va permettre de créer une vie culturelle riche dans la zone qui entoure la calle Mariano Boedo. Cela va encourager la création d’un quartier dont l’existence fut officialisée en 1972. Ce quartier sera nommé Boedo en référence à l’Avenida Boedo qui le traverse du nord au sud. San Lorenzo traverse alors la période la plus faste de son histoire, celle de los matadores. En 1972, cette équipe gagnera le championnat Metropolitano (ouvert aux équipes affiliées à la fédération) et le championnat Nacional (ouvert aux équipes directement et indirectement affiliées, plus d’équipes de province y participaient). Dès lors, San Lorenzo devient l’équipe de Boedo, quartier que le club a contribué à créer.
Mais l’union entre San Lorenzo et Boedo va subir un choc dès la fin des années 70. En effet, en prévision de la Coupe du Monde 1978, la junte militaire de Videla souhaite construire un réseau autoroutier. Pour cela, elle exproprie San Lorenzo. Après avoir tenu tête à Osvaldo Cacciatore, le gouverneur de Buenos Aires, le club doit céder. San Lorenzo quitte le Gasómetro en 1979, après la Coupe du Monde qui justifiait pourtant son expropriation. Sans son stade, San Lorenzo doit quitter Boedo. El Ciclón se voit contraint de louer les terrains de ses rivaux de Buenos Aires pour y jouer ses matchs “à domicile”.
Cette situation humiliante se poursuit jusqu’en 1993, date à laquelle commencent les travaux d’un nouveau stade. Cette nouvelle enceinte prend le nom d’Estadio Pedro Bidegain, surnommé el Nuevo Gasómetro. Il se situe dans le Bajo Flores à quelques kilomètres au sud de Boedo. L’exil qui dure encore aujourd’hui est acté. Cependant les liens entre San Lorenzo et Boedo vont y résister.
AU-DELA DE L’EXIL
Malgré son exil, San Lorenzo est resté avant toute chose un club de quartier. La première explication à cela est liée aux évènements exposés dans la première partie de cet article : la naissance du club et son histoire jusqu’au départ du Gasómetro. Tout traumatisme qu’il est, ce départ a eu une vertu, il a soudé à jamais un peuple, son lieu de vie et son moyen d’expression. En faisant, à leur échelle, des supporters de San Lorenzo des victimes de la dictature, il leur a donné un rêve à poursuivre, une cause pour laquelle s’unir et lutter, un leitmotiv à marteler dans chacun de leurs chants.
Une deuxième explication du lien immuable entre Boedo et San Lorenzo est sans aucun doute la faible exposition du club. Au pays, San Lorenzo est un grand, le 5ème club le plus titré d’Argentine et un des clubs les plus soutenus. Mais à l’étranger c’est au mieux l’équipe du Pape et de Viggo Mortensen. C’est là une différence avec les deux géants Boca Juniors et River Plate. Tous deux nés dans le quartier de la Boca, ils ont acquis un statut excédant celui de club de quartier.
River a quitté le quartier de la Boca de son propre chef dans les années 30. Le club a élu domicile à Belgrano, un quartier bien plus aisé et a ainsi perdu son étiquette de club de quartier. Ce déménagement couplé aux succès des Millonarios en ont fait un club à la portée nationale et au rayonnement mondial. Boca de son coté est toujours dans le quartier éponyme. Mais les victoires et les légendes passées par là ainsi que son image de club du peuple en ont fait le club le plus populaire du pays et un club connu de tous.
A l’inverse San Lorenzo ne s’est jamais réellement exporté. Le club n’est sorti de Boedo que par l’intermédiaire de son expropriation. Pas de tires en pagaille (1 Copa Libertadores) et pas de légende qui porterait les couleurs du club par-delà les océans. Los matadores restent dans leur coin et ça leur va bien. Loin de voir leur faible exposition comme une limite, ils s’en enorgueillissent et la revendiquent. Lorsqu’en août 2014 le club célèbre sa première Copa Libertadores, l’épicentre des réjouissances n’est pas l’Obelisco, lieu de fête habituel des clubs de Buenos Aires. Le peuple azulgrana se retrouve à San Juan y Boedo en plein centre du quartier de Boedo.
Ce chauvinisme boedense pousse les hinchas de San Lorenzo à faire leur club à l’image de leur quartier. Regorgeant de richesses culturelles, Boedo offre à ses habitants des moyens d’exprimer leur soutien à leur club. Ainsi, le patrimoine culturel et créatif de Boedo se reflète dans le comportement des hinchas de San Lorenzo. Ces derniers sont d’ailleurs considérés comme les plus créatifs par beaucoup, dont feu Diego Maradona.
Le garant de cette créativité en tribune est le groupe Escuela de Tablones. Il s’agit d’un groupe musical qui s’est fait une spécialité de reprendre des tubes et de les adapter aux stades. Si San Lorenzo ne s’est pas exporté sportivement, la culture qui entoure le club a fait le tour du monde. Ainsi, plusieurs chants d’Escuela de Tablones, entonnés au Pedro Bidegain et postés sur Youtube ont dépassé le million de vues avant d’être repris dans les stades du monde entier. De même, le grupo artistico de Boedo s’est fait connaitre en réalisant des fresques de l’histoire de San Lorenzo sur les murs de Boedo. Leur succès sur les réseaux sociaux les a amené à voyager jusqu’à Liège ou Barcelone pour y réaliser d’autres fresques.
De manière générale, San Lorenzo reste très important dans la vie quotidienne des habitants de Boedo. Plus qu’un club sportif, San Lorenzo se veut une institution sociale basée sur un pacte : San Lorenzo veille sur les siens et ces derniers veillent sur le club. Ainsi en pleine pandémie de Covid-19, l’un des centres de vaccination les plus importants de Buenos Aires se trouve à Boedo au siège de San Lorenzo. A l’inverse en 2000, ce sont les supporters qui ont sauvé leur club. Le groupe « De Boedo Vengo » a empêché la privatisation du club par la firme suisse International Sport and Leisure.
LA VUELTA A BOEDO : ITINERAIRE D’UN REVE
Le jeudi 5 août dernier, devant la Legislatura de Buenos Aires, un cortège azulgrana exulte. Après 15 ans de lutte législative, San Lorenzo va pouvoir retrouver sa place en ce monde. Ce combat s’il devait avoir un visage aurait celui d’Adolfo Res. Hincha de San Lorenzo, Res est de ceux que l’on n’arrête pas une fois qu’ils ont une idée en tête. Au tournant des années 2000 il se met à rêver de ramener San Lorenzo à Boedo. Il commence ses prêches dans les cafés et les lieux culturels du quartier.
Ce projet, à l’image des hinchas de San Lorenzo, est une folie. Res part de zéro. Il doit convaincre ses pairs, créer un mouvement assez large pour attirer l’attention des autorités locales, récupérer les terrains perdus d’Avenida la Plata et y construire un stade. Le bout de la piste est encore loin mais le chemin parcouru en 20 ans est stupéfiant. Pas à pas, Res et la Subcomisión del hincha de San Lorenzo, créée en 2005 pour mener à bien le retour à Boedo, vont porter leur projet et le rêve de tout un peuple. C’est là que seront votées les lois successives qui permettront au club de retrouver son quartier. En 2007, la loi 2.464 autorise San Lorenzo à récupérer le Polideportivo Roberto Pando, sur le même pâté de maisons que l’ancien Gasómetro. Les sections de sport en salle du club azulgrana l’occupent depuis 2016.
Le 8 mars 2012, le peuple azulgrana frappe un grand coup. Ce jour-là, 110 000 hinchas et socios descendent et investissent la Plaza de Mayo dans une atmosphère de fête. Le 15 novembre suivant, la Ley de Restitución Histórica permet au club de racheter ses anciens terrains grâce au financement des socios. Et finalement le 5 août dernier, le vote de la Legislatura de Buenos Aires permet officiellement à San Lorenzo de reconstruire son stade. Cette enceinte sera baptisée Estadio Papa Francisco et trônera à l’emplacement exact du Gasómetro qui fut détruit 42 ans auparavant.
Au-delà de la belle histoire, ce retour à Boedo représente un espoir sur le plan social et culturel. C’est la raison pour laquelle cette cause a trouvé un soutien parmi la classe politique argentine. Manuel Socias, membre de la Legislatura et supporter de River Plate, a soutenu le mouvement pour le retour à Boedo. Il était à leurs côtés dans chaque étape de leur démarche. Socias tweetait d’ailleurs après l’approbation de la Ley de Rezonificación que le retour à Boedo représentait « pour le quartier et tout le Sud de Buenos Aires, si souvent mis de côté, une opportunité de se développer dans l’équité et l’inclusion. ». Ainsi, plus qu’un stade, le projet de Rezonificación comprend la création d’un espace public. Cet espace inclura notamment une école, une galerie marchande et des espaces verts. Le tout destiné à améliorer la qualité de vie des habitants du secteur.
Le lien entre San Lorenzo et Boedo représente le football comme on ne le voit plus de nos jours. A notre époque, pour mesurer la grandeur d’un club on parle de trophées, de palmarès, de légendes. On oublie que l’histoire d’un club c’est avant tout l’histoire de ceux qui l’ont fait. San Lorenzo nous raconte cela au travers de son rapport avec Boedo. Un rapport construit, entretenu et bientôt renforcé par le retour des cuervos sur l’Avenida La Plata. Ce retour s’annonce comme une deuxième naissance pour un club dont l’histoire s’écrivait en négatif depuis son expropriation, mais aussi pour le quartier de Boedo.
Crédits Photos : Getty Images
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