La quiebra du Racing Club

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Il n’y a pas d’endroit dans le monde où l’homme est plus heureux que dans un stade de football“, disait Albert Camus. Pourtant le 7 mars 1999, pour un supporter du Racing Club, il n’y avait pas pire endroit sur terre que le Cilindro d’Avellaneda. Car quelques jours auparavant, l’Academia avait définitivement cessé d’exister. Véritable mélange entre le burlesque, le romanesque et la tragédie, la saga de la Quiebra est une histoire quasiment unique dans le grand livre du football moderne. Car cette histoire aurait dû sonner le glas d’une institution comme le Racing. Elle a été, au contraire, le début d’une formidable aventure, tant sur le plan sportif qu’humain.

Une situation hors de contrôle

1998. Le “Truman Show” de Peter Weir cartonne au box-office. “Yakalelo” de Nomads passe en boucle sur toutes les radios. Alors qu’une douce euphorie s’empare de la planète football et que la Coupe du Monde en France approche, les traits sont plus tirés chez Daniel Lalín. Président du Racing Club depuis seulement six mois, Lalín et sa direction s’apprêtent à planter le premier clou dans le cercueil de l’Academia, en déclarant sa quiebra (banqueroute). Géré d’une manière catastrophique depuis dix ans, le club est à l’agonie financière. Criblé de dette, le Racing ne peut plus suivre et se retrouve dans l’incapacité de rembourser les 66 millions de pesos qu’il doit.

Un passif cataclysmique dû à une gestion désastreuse des trois dernières présidences : détournement de fonds, malversations financières, commissions sous le manteau mais aussi et surtout, une fâcheuse tendance à surpayer ses joueurs et ses coachs. Une politique catastrophique qui oblige donc Daniel Lalín et ses comparses à prendre cette terrible décision. Tout a pourtant été tenté pour sauver l’institution, allant même jusqu’à invoquer les forces spirituelles. Comme ce jour de février où Lalín convie les supporters d’El Primer Grande à une procession jusqu’à l’Estadio Presidente Perón pour ensuite y célébrer une messe et exorciser les démons du stade. Malheureusement, cela ne suffit pas. Le 10 juin 1998, l’Academia est officiellement déclarée en banqueroute.

Huit jours plus tard, le 18 juin 1998, le couperet tombe. Sur ordre du juge Enrique Gorostegui, le Racing Club est placé sous la tutelle du Tribunal Civil et Commercial de La Plata et voit le dossier être confié à Liliana Ripoll. Objectif : liquider le passif le plus rapidement possible, quitte à saigner à blanc dans les biens et les actifs du club. Pas étonnés de la décision mais profondément en colère, la Guardia Imperial (la plus grande hincha du Racing) et des milliers de sympathisants foncent immédiatement vers le stade pour réclamer des comptes mais aussi et surtout, la tête de celui qu’ils jugent comme responsable de cette catastrophe industrielle. En seulement quelques jours et partout autour du stade, ainsi qu’à Buenos Aires, fleurissent des affiches réclamant la démission de Daniel Lalín, désormais considéré comme le “pire président de l’histoire du Racing”.

Au bord du gouffre, on place le Racing sous perfusion judiciaire, en attente d’une amélioration économique significative. Pourtant les mois qui suivront seront les plus durs de toute son histoire, sans aucun doute.

Le tambour de Lalín

1999. Un peu plus de six mois plus tard, rien n’a changé pour l’Academia. Pire que ça même, la situation s’est détériorée. Malgré la mise sous tutelle judiciaire, le déficit s’est un peu plus aggravé et le passif s’est alourdi d’un demi-million de pesos supplémentaire. Faute de moyens et de fonds propres, le Racing est dans l’incapacité de démarrer le Torneo de Clausura qui arrive. Trop c’est trop pour le Tribunal qui ordonne la liquidation des biens du club et sa cessation d’activité. Le 4 mars 1999 sonne donc le glas pour El Primer Grande. Avertis de la nouvelle, les supporters du Racing se mobilisent de nouveau en nombre devant le siège social, à Avellaneda, pour assister à l’éloge funèbre.

Alors que la colère monte et que les supporters se font de plus en plus pressants devant les grilles du bâtiment, les journalistes eux, commencent à récolter les premières informations. La rumeur enfle, prend de l’ampleur, fait le tour des télévisions du pays et finalement, en début de soirée, Liliana Ripoll s’avance devant le parterre de micros tendus vers elle pour clarifier la situation. Devant des centaines de supporters survoltés, la chargée des finances du Racing ne se démonte pas malgré la situation de quasi-guerre civile et assène, froidement, une phrase qui résonne encore aujourd’hui comme le coup de poignard le plus douloureux de l’histoire de l’Academia.

“Le Racing a cessé d’exister”

Liliana Ripoll, au micro de TyC Sports et de tant d’autres ce soir-là.

En prononçant ces paroles, Liliana Ripoll et la direction commettent une première erreur. Entassés comme du bétail devant le siège social, les supporters du Racing, en apprenant la nouvelle, explosent de colère et de tristesse comme un seul homme. Le peuple céleste et blanc gronde. Et bientôt, la colère et les cris déchirants laissent place à la haine et l’envie d’en découdre.

En voyant la situation se dégrader petit à petit, Daniel Lalín décide de prendre ses responsabilités, et de sortir, afin de clarifier la situation. Deuxième erreur. Car en se montrant en public au beau milieu d’une foule déchaînée, l’ennemi public numéro un se découvre trop. Beaucoup trop même. Alors qu’il tente désespérément de s’adresser aux journalistes, des objets commencent à fuser de toute part. Lalín, qui reste stoïque, continue de répondre aux questions. Soudain, parmi l’agitation ambiante, un tambour traverse le ciel et vient violemment s’écraser sur l’arcade du président de l’Academia, faisant exploser ses lunettes au passage. Ce soir-là marque un tournant dans l’histoire entre la hincha et Daniel Lalín : désormais, c’est chacun de son côté et la rupture, elle, est belle et bien consommée.

Trois jours plus tard, le 7 mars, l’ambiance est beaucoup plus lourde et solennelle. Dans les travées du Cilindro, plus de trente mille personnes se sont entassées dans les tribunes, en espérant y voir une petite lueur d’espoir : voir les joueurs du Racing sortir du tunnel pour disputer le match prévu, contre Talleres de Córdoba. Mais le miracle tant attendu n’arrive pas. Abattus et désabusés, les supporters du Racing descendent sur le terrain et errent au milieu des journalistes, tels des âmes en peine, priant pour le salut de leur club et marchant même sur les genoux comme signe de pénitence. À ce moment-là, la situation est claire comme de l’eau de roche : le Racing Club ne se relèvera pas et le dernier clou vient d’être planté dans le cercueil du Primer Grande.

Alors très vite, la résistance va s’organiser. D’un côté, les anciennes gloires du club se mobilisent sous le commandement du légendaire Ubaldo Pato Fillol pour filer un coup de main à tous les étages, prenant parfois en charge le côté sportif. De l’autre côté, Lalín fait jouer ses relations jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, aidé par le Padre Julio Grondona, qui s’entretient successivement avec Carlos Menem (président de la Nación de l’époque) et Eduardo Duhalde (Gouverneur de la Province de Buenos Aires).

On vote même une loi en urgence pour permettre l’arrivée de capitaux privés dans les clubs de football professionnels. Une première au pays. En parallèle, les supporters organisent de grandes campagnes pour réunir des fonds, avec l’objectif, à moyen-terme, d’être partie prenante dans ce qui n’est encore qu’un embryon de renouveau. Comme un symbole, et pour ne jamais oublier, le 7 mars est décrété Dia del Hincha. Une mobilisation sans nom pour un club de football, qui ne manque quand même pas de faire grincer des dents certains et certaines.

“J’ai toujours travaillé dans un climat de banqueroute ou de cessation d’activité. J’ai vu la fermeture d’entreprises qui laissaient 50, 100 ou même 200 personnes à la rue. Et je n’ai jamais vu un politicien se bouger pour les sauver. Avec l’histoire du Racing, il y a eu une sorte de consensus politique que je n’ai jamais vu pour une entreprise ou une activité industrielle. Je ne l’ai vu que dans le football”

Liliana Ripoll, dans une interview pour La Nación, quelques années après la fin de la quiebra.

Revenus d’entre les morts

Finalement, après quelques habiles tours de passe-passe politico-financiers et quelques garanties offertes par le club, le Racing est autorisé à débuter le championnat, lors d’un match à Rosario, contre les Canallas de Rosario Central. Avec une équipe assez hybride, composée de vieux briscards comme Guillermo Barros Schelotto, mais aussi de jeunes promesses comme Carlos Arano ou un certain Diego Milito, le club survit contre vents et marées, et les fruits de la mobilisation générale commencent à se faire sentir au sein des finances. Les deux premières années, le club fait le yo-yo au classement, alternant entre le haut de tableau (une belle sixième place lors du Torneo d’Apertura 1999) et les abîmes (une dernière place lors du Torneo d’Apertura 2000).

Cette instabilité sportive va prendre fin en 2001. Sous la houlette de Reinaldo Mostaza Merlo et emmené par ce qui sera qualifié plus tard de génération dorée, le club nourrit de grosses ambitions pour le Torneo qui arrive. Dix-neuf matchs et une seule petite défaite plus tard, le club arrache, lors du Torneo d’Apertura 2001, le titre de champion d’Argentine. Premier de la septième à l’ultime journée, le Racing fait preuve de solidité dans la conquête du titre. L’explosion de joie tant attendue vient après un match contre Vélez Sarsfield qui se conclut par un 1-1 plutôt fade, coiffant River Plate au poteau et synonyme de couronne suprême pour l’Academia.

Rues bondées, banderoles, fumigènes, klaxons, Quilmes et Fernet. Le titre se fête comme une résurrection mais aussi comme une délivrance et un échappatoire. Car, au delà de la crise traversée, c’est une période de trente-cinq ans sans titre national qui vient de prendre fin avec celui-ci, et ce dans un contexte particulier, que les supporters de l’Acade ne connaissent désormais que trop bien : la crise financière qui touche l’Argentine depuis décembre 2001. Un titre obtenu dans des conditions dramatiques et qui sert aussi (un peu) d’exutoire après des mois de heurts et de violences dans une Argentine livrée à elle-même.

Une histoire comme caisse de résonance

20 ans plus tard et après avoir remboursé toutes ses dettes, le titre du Racing reste toujours une anomalie dans le vieux grimoire du football mondial. En seulement deux ans, le club est passé de cliniquement mort au panthéon des champions du pays. Cette histoire fantastique est unique dans le microcosme argentin. Elle est aussi devenue, un peu contre son gré, un formidable exemple pour tous les clubs du monde.

Car, dans un football actuel traversé par la violente crise du Covid-19, cette aventure offre une énorme caisse de résonance pour nous, les supporters et amateurs de football. Elle nous rappelle que si aujourd’hui, la crise met à mal les clubs, nous pouvons, nous aussi, être les acteurs et décideurs principaux dans le destin de nos institutions. Et que, même si ce modèle n’est pas parfait, il a au moins le mérite d’exister et d’être un véritable contre-pouvoir à des présidents ou des actionnaires toujours plus attirés par le profit et le marketing, trahissant très souvent l’âme de ce qui nous faisait rêver autrefois.

Enfin, la Saga de la Quiebra du Racing offre une dernière leçon. Une leçon vieille comme le monde, qu’on a parfois tendance à oublier mais qui revient sans cesse, comme une petite marotte : que dans le football, rien n’est immuable, et que quand tout est contre vous, il est toujours possible de renverser la vapeur. Surtout lorsqu’on a des supporters prêts à tout pour leur club.

Crédits photos : Twitter de Juan Pablo Mansilla / Getty Images

La quiebra du Racing Club







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